Une ombre des bois
Par Daniel Bahloul Druelle.
2024/10/08
Une ombre des bois
Ma pensée ne quitte pas cette drôle d’impression féerique
d’avoir entraperçu une « ombre » des bois
Je suis plein du désir de connaître cette énigme
Je crois que tout cela était fait pour me distraire de mon objectif premier
cueillir quelques bolets à pied rouge pour mon repas du soir
Et si ce n’était qu’un prétexte à la rêverie
car l’ombre mise à part il ne s’était rien passé
Quoi qu’il en soit plus ça va plus je puis affirmer
que ce qui doit arriver va advenir
Tiens la pluie
Rentre à la maison manger une bonne omelette d’œufs frais aux bolets
Locus terribilis
J’ai pris ce matin mon parapluie de quoi me nourrir
certain de passer ma journée à chercher une ombre qui ne serait en fait
– chose assez décevante – qu’un corps d’arbre strié de rayons
Je me demande même :
« ce qui n’existe pas vraiment serait-il bon de le créer »
Sur les murs d’une maison en ruine
demi-jour obscurité et ténèbres déjeunent sur une nappe de mousse
sans prendre ombrage du soleil qui les nargue depuis son salon d’azur
Des paillettes de rosée se métamorphosent en étoiles lilliputiennes
à travers les ramures de chêne et de sapin
Veuillez m’excuser chers lecteurs je ne me suis pas encore présenté
Mon nom est Lucien Lacrymal car j’ai beaucoup pleuré
Vous me voyez marchant le long de la nationale
Bientôt un sentier de sanglier s’ouvre à moi
Ce terrain de campagne n’est pas des plus accueillants
Des plantes ligneuses des haies à épines et autres ronces
rendent mon expédition difficile
Peu à peu la sente s’élargit et me fait un tapis de feuilles mortes
Sous mes pas elles poussent un dernier cri moribond
faisant gicler l’eau de pluie dans mes bottes
La nature morte chaque jour va en tombe à la lise putrescente
Toute cette vase aura sa résurrection en thym ou en bruyère
Je dois avoir bien marché puisque je me trouve
dans -ce que l’on appelait jadis dans le roman médiéval- le locus terribilis
un espace hors du monde à l’exact opposé du locus amoenus
qui lui est plaisant et propice à la rencontre amoureuse
D’ailleurs ce lieu isolé où je me trouve a toutes les caractéristiques
de terreur et de conversion
Pour le topo voici une situation hypothétique
Un personnage se trouve seul en proie à une terreur incontrôlée
peut-être liée aux éléments qui l’entourent
Imaginez un espace typiquement obscur et froid
avec une faune hostile et amusons-nous avec un dragon crachant le feu
Soyez sûr que ce personnage des bois incroyant
pour se sauver de cette situation deviendra un vrai bigot sans demander son reste
La conversion au catholicisme dans ces temps antiques était monnaie courante
La chorale des chants heureux (dialogue avec la nature)
Nature ! quand je suis dans ton élément j’habite mon poème
Je sais que tu m’entoures que tu me parles, je sais t’entendre :
l’ombre était-ce toi
peu importe ton silence j’aurai ma réponse
Je peux t’apprendre deux ou trois choses sur ma petite personne :
Je dors sur mes nuits d’écriture beau dormant de voyage
mon âme m’ouvre les paysages de ma création
Ma réalité est le coussin de mes rêves
Ma tête bien blottie dans des Bryophyta d’humanité s’évade en pensée
Mon stylo Waterman dessine des pleins de virage et des déliers de ligne droite
Ma plume de colombe calligraphie le mot Paix dans toute sa beauté
J’arrive à un passage clouté de sergent-major
Un gendarme sépia d’encre violette me fait traverser et me dit :
« va donc chanter et courir dans ce champ poétique
Les fleurs offrent un concert aux notes clochettes de muguet »
Le couplet dit : « je suis au monde moi humble sujet de ta nature je t’aime ma reine
je te sers avec reconnaissance »
L’unique refrain dit :
« ta nature est au monde en bonne servante
elle t’aime aussi ainsi que l’effluve de ta vie »
Elle dit : « relevez-vous ma couronne est aussi pour vos têtes
nous tous sommes les monarques d’une chorale heureuse »
Il n’est pas une fois
Il n’est pas deux trois ni quatre fois
Il n’est pas nuit noire l’heure ne sonne pas douze
Il n’y a ni prince ni princesse encore moins de château de fées ni de sorcières
Les monstres sont changeants comme les ombres d’un rameau d’olivier
sur un mur de chaux provençal
Les spectres ne sont que du linge pendu sur un fil
où les petites culottes se balancent avec les draps et autres chemises
Ces contes de fées ont fait leur temps dans un néant de banalité
Pas le moindre espoir fantastique pas la plus infime science-fiction
Tout est cruellement réel
Le chemin le plus court est vraiment la ligne droite
Hiroshima a bien eut lieu
Hitler est bien mort
le stalinisme était devenu clair dans les consciences les plus aveugles
L’utopie rêvée est métamorphosée en une lucidité tentaculaire
d’où sort l’essence hallucinante d’être au monde
Il y a l’absence de toutes ces croyances et superstitions
Nietzsche avec « Le Gai Savoir » nous avait annoncé la mort de dieu
Donc il n’est pas une fois la guerre
et la première paix mondiale ne fait toujours pas partie de ce monde rétrograde
Aujourd’hui des tyrans mangeur d’existences et d’autonomies ont par la terreur
avilis leurs peuples au nom du culte de la personnalité
Les murs de Nagasaki sur les briques rouge sang
exposent encore les ombres atomiques des chairs éclairées
par les rayons d’un insouciant soleil
La pluie tombe de nouveau je reprends mes esprits
son eau froide dans mon cou me sort de ma torpeur
Je m’éveille à la réalité des coups de poing de bon sens dans la figure
Si j’appartiens bien à cette collectivité des esprits qui sont en moi
ma solitude se positionne pourtant de manière unique
Je ne fais que subir ce qui m’entoure
Une pensée me vient subitement : « ces rochers qui entravent mon chemin portent
le noyau de l’histoire de Prométhée »
Mon activité psychique m’offre au lointain une barrière devant un passage
traversé par une chaîne qui fait frontière avec une fiction qui s’écrit
Est-ce la chaîne prométhéenne
J’arrive à l’improviste dans ce qui semble être une nécropole
La pluie s’arrête aussi soudainement qu’elle avait commencé
J’en profite pour me construire un abri provisoire cela me permettra d’être tranquille
pour écrire et me reposer un peu
J’entends le poème puissant et les chants que la nature propage
avec des myriades d’insectes d’oiseaux et autres petits mammifères
J’entends les rythmes des galops des cerfs élaphes poursuivant une harde de
renard rodant trop près de leurs faons
J’entends aussi par sa voix de vent d’été elle me dit : « La feuille blanche est un
silence écrit avec une encre muette
Celle de la sépia l’empêche de s’illusionner de son prédateur le cri
Le firmament est bleu parce qu’il ment ferme dans son addiction d’azur
La cigale ne chante plus Jean de La Fontaine
elle vit confortablement de ses droits d’auteur
Le merle a deux chants celui de l’aube et celui du soir soit patient il viendra
tu seras récompensé par sa beauté
Tu ne nages pas dans l’océan tu ne fais que prendre sa température
Entends-tu l’été
La plage est sa propre serviette de bain c’est une vraie naturiste
La marée haute a le vertige alors elle redescend à l’horizon
Au-delà de toi il n’y a rien
Normal tu ne peux pas sortir de ton corps
Pourquoi crois-tu encore avoir une âme
Tu désires de l’espace mais l’espace crois-tu qu’il te désire
Tu as honte d’avoir honte honte à toi et à ta honte
La foule est seule pour le pluriel il faut des gens
Tu t’interroges des fossiles des restes morts
Et les restes des vivants cela t’interroge-t-il
La pierre qui te recouvera sera celle du puits où tu t’abreuvais enfant
Quelle misère que d’être au monde quand ton futur est d’être en terre »
Lucien Lacrymal
Avant que tu ne partes écoute-moi encore
je dois te dire ceci :
« L’ombre des bois que tu avais entraperçu dans les sentes c’était ton spectre »
– Nature je t’avais bien reconnu
Raconte-moi la chair de ta bienveillance le sang du rêve en toi coule pour autrui
Je songe ma vie comme un fleuve de compassion qui sillonne la terre
dans mon corps endormi
Nature qui en moi carillonne raconte-moi ce rêve qui ne fut que cri et larmes informe moi de ce qui vient du sel de l’océan :
« tu as sauté hors du rien laissant l’éternité se prendre dans l’éphémère
Le crépuscule accueille ton exil pourtant tu respires le danger d’une autre éternité
qui te jette dans l’effroi »
Nature dis-moi encore ce que je ne devais pas savoir
« tu viens d’un rêve blessé qui ne connaît point son dormeur
tu n’es pas là où tu devrais au littoral indicible
mais tu marches sur l’invisible chemin et te perds au fond de son abîme »
Nature révèle-moi l’absence
« tu as la mémoire de l’éther tu défailles et tu ne pourras te souvenir de cet instant »
Nature je m’évapore dans ce lieu qui n’est pas le mien
Je me dissipe dans mon corps qui est ma terre où le fleuve de ma sève abreuve
mes racines enfantant les ceps tortueux du raisin de ma vie
Nature qui en moi murmure raconte-moi encore le vent funambule
et les rais du soleil
Nature chante-moi une comptine que je m’endorme :
« Doucement doucement s’en va ton jour
Doucement doucement doucement il s’en va »
Daniel Bahloul Druelle