Carnet retrouvé de 1974 – 1975 :
Poèmes et pensées d’un jeune homme de 17 ans.
Par R. Sartho.
2024/07/03
Les cloches
De toutes époques mystiques
De toutes années lointaines
Les cloches immenses et magnifiques
Du haut de leur tour humaine
Crient encore de mille façons
Leur message aux cent interprétations.
Entre les larmes glacées
D’un père cruellement éprouvé
Et les rires saccadés
D’une mère devant le nouveau-né
Les cloches chantent encore et toujours
Leurs éternels discours
Les cloches de minuit et du midi
Sont-elles des images de nos cœurs
Criant sans se faire entendre de la vie
Criant sans se faire écouter du bonheur
Les cloches de nos cœurs murmurent encore.
S’éteignant lentement sous le tonnerre du désaccord.
Encore
Après avoir connu la guerre
Les hommes se sont regardés
Ensemble ils ont juré
De ne plus faire des tonnerres de fer
Mais ils ont oublié leur accord
Et ils y ont joué encore.
Après avoir connu l’ivresse
Les hommes ont regardé le soleil
Et ont jeté au loin leur bouteille
Comme signe de sagesse
Mais ils ont oublié leur corps
Et ils y ont goûté encore.
Après avoir connu le mal
Les hommes ont levé leurs mains
Et du Malin
Ont détourné leurs yeux sales
Mais ils ont oublié leur sort
Et ils s’y sont engouffrés encore.
Après avoir connu le mensonge
Les hommes se sont tus
Et, de la Vérité nue,
Ont fait plusieurs songes
Mais ils ont oublié leurs torts
Et ils en ont prononcé encore.
Après avoir connu la destruction
Les hommes ont promis à la nature
Que pour épargner ce qui est pur
Il n’aurait plus de démolition
Mais ils ont oublié ce qui était rare
Et ils en ont brulé encore.
Après avoir connu les hommes
Je me suis retourné
Pour mieux oublier
Tout ce qu’ils nomment
Mais j’ai oublié que je n’étais pas assez fort
Et je les ai imités encore… encore.
La Liberté
Dans mon esprit tourmenté
Par l’ère du confort
Se cache encore une idée
Dormant depuis des années
C’est celle d’un beau et grand voilier
Aux mille voiles d’or
Sur sa coque d’ivoire
Brillait, écrit en lettres de diamant,
Un nom trahi par l’histoire
Et par toutes les bouches, crié
C’est celui de la Liberté
Amer mot, sali par le sang
Où est-il donc le voilier ?
S’est-il enrobé
Du soleil couchant de tes yeux,
Où, oh ! Destin odieux
A-t-il lentement couché
Sous le poids d’une armée ?
Je ne suis
Accroché à mon coin de ciment
Sur le trottoir d’une ruelle perdue
Mon pauvre feu de quinze ans
A vu ce qui n’aurait pas dû être vu
Je ne suis qu’un lampadaire
Sur lequel bien des hommes ivres
Sont venus parler, ne pouvant se taire,
Des raisons qui les poussaient à vivre
Comme des bêtes oubliés
Ne sachant même pas où pleurer
Je ne suis qu’un lampadaire
Fils de la ville d’acier
Qui a éclairé de sa lumière
Bien des couples nouveau-nés
Se faisant des serments d’amour
Jusqu’à la lueur du petit jour
Je ne suis qu’un lampadaire
Lui a entendue des belles pensées
Et des paroles éphémères
Très vite oubliées
Par les personnes qui un jour sur moi
En passant, m’ont fait porter un peu de leur croix.
Je ne suis qu’un lampadaire
Qui en est à sa dernière lueur
Oui, certainement la dernière
Avant que la nuit ne meure
Encore quelques secondes à éclairer
Ceux qui viennent sur moi se pencher.
Le fantôme
Comme un ruisseau sur l’herbe tendre
Sa silhouette vaporeuse
Commence dès le soir à s’étendre
Sur les vieilles tombes poussiéreuses.
Son corps translucide
Coule et se découpe sur les murs
Enjambement les épitaphes arides
De ceux qui, jadis, furent.
Sur les froids courants d’air,
Ses muscles calcifiés
Trainent le poids imaginaire
Des jambes oubliées
Son ombre s’effiloche
Dans les chemins funéraires
Entre-les allés sinueuses et croches
Du sinistres cimetière.
R. Sartho, 1974 – 1975.