Au milieu d’un été
Par Arthur Moreau.
2024/06/18
Au milieu d’un été, il entendit des explosions irrégulières de puissance et de délais, et sortit dehors dans la nuit, sans souliers d’ailleurs, pour en déterminer la source. Il vit des éclats de lumières colorer le ciel noir, juste au-dessus du fleuve de la même teinte – au point où il était difficile de repérer distinctivement le ciel et l’eau, résultant ainsi en une seule entité, une seule masse obscure et profonde, d’apparence infinie.
Il était d’humeur triste cette soirée-là, comme depuis plusieurs semaines, dû à une découverte qu’il avait effectué un peu plus tôt dans la saison : après vingt ans de vie, vingt années d’existence à croire l’exact opposé, il réalisa enfin qu’il n’était pas intelligent. Cette découverte le déprimait ; il savait qu’il n’aurait maintenant plus la chance des autres, celle de croire qu’ils le sont.
Il comprenait désormais qu’il n’avait pas l’intelligence de l’homme innovant, cet esprit exceptionnel, celui de l’homme s’aventurant dans les comtés que sont l’inconnu et l’inexploré, et il comprenait par cela que tous les essais qu’il tenterait de produire aujourd’hui ou demain finiraient par devenir un malheureux et simple amalgame, une concoction bigarrée de tous ces auteurs qu’il avait lus au fil de sa vie, ces grands hommes, possédants eux, cette rare intelligence.
Quelques minutes de vents et d’éclatement passèrent ; ses yeux passaient du rouge au bleu, et du vert au jaune, alors qu’il était immobile, seul dans la nuit.
Une lumière s’avança sur le fleuve, une étoile verte nageante, lui rappelant cette lumière émeraude qu’évoquait Fitzgerald… Elle tournait, illuminant éclipsement ses yeux et la terre et l’eau du fleuve.
Il pensa à Céline, à Ferdinand, à ses périples, à son voyage en Afrique, à cette terre énorme qu’il avait peur de ne jamais piéter ; il pensa à Hemingway, à l’Espagne, à Cuba, à un poisson, un énorme qui n’attendait que sa venue ; il pensa à Saint-Exupéry, à un avion, petit, frêle, vert, et à la vue qu’il lui donnerait de ces feux d’artifices ; il pensa à Dostoïevski, à cette Sibérie, cette neige, ces pins, et tout cet horizon de froid qui l’attire tant ; il pensa à Alain-Fournier, à ce domaine mystérieux, à cette fête, qui se déroulait sans lui… « Je dois bien avoir quelque chose, quand même… ».
Il s’imaginait aller à la guerre, non pas par patriotisme, mais par aventure. Il s’imaginait aller dans ces grandes tours new-yorkaises, non pour la richesse, mais pour les hommes. Il s’imaginait pêcher dans ces mangroves, non pour manger, mais pour se faire mouiller. Il s’imaginait étudier dans ces universités anglaises rampées de vignes, non pour apprendre, mais pour l’odeur.
Le bateau passa silencieusement, multicolore par les feux d’artifices, et disparût derrière la ville. Peut-être y va-t-il, lui, en Afrique, pensa-t-il…
Et alors que les feux d’artifice venaient de cesser, et qu’il semblait maintenant se noyer dans cette obscurité totale, dans ce Styx, dans cette mer d’ombre, ses yeux brillèrent par l’illumination d’une découverte, d’une vérité, et tout devint clair pour lui.
Il sut finalement ce qu’il avait, ce qu’il devait chérir, ce qui le sauverait : son sens d’esthète. Ce troisième œil, celui de l’art, du splendide, qui lui fait différencier ce qui est beau et ce qui est laid, cet œil s’illuminant face à la joliesse des décors, celui pétillant devant l’harmonie de l’unique, celui permettant de creuser dans l’argile de l’humanité, pour ainsi trouver les pierres précieuses de l’art qui y sont enfouies, le rubis du grandiose, le saphir du délicat, l’émeraude de la magnificence…
Ses essais seraient futiles, oui, mais pas sa prose, pas son art, encore à sa genèse, et il rentra finalement chez lui, écrire quelques lignes.
Arthur Moreau.