Ce sang
Dans mes veines coule un sang de feu
Qui me brûle les artères, brûle mon cœur
Ma langue crache un venin de peur
Quand je pense à mon pays ; volé par eux.
Est-il juste de devoir donner
Ce que, de ses mains, on a bâti ?
Est-il juste de devoir jurer
Fidélité et servitude à son ennemi ?
Ces montagnes et ces forêts perdues !
Ces lacs et ces rivières enlevés !
Comment ferons-nous pour racheter
Ce pays et cette langue aux intrus ?
Le Canadien-français, celui d’autrefois,
Possédait deux mains
Il ne reste à celui de demain
Qu’un seul doigt
Dans le brouillard, caché sous ton trench,
Tu caches ton visage, tu demandes ta route
Et la réponse de celui qui t’écoute
Est la réponse d’un Anglais qui ne parle pas le French.
Le clown
Allons ! Il faut sourire.
Tu n’as pas le droit de pleurer,
Vieux fou ; tu dois faire rire,
C’est là ton beau métier.
Tu as un problème ?
Oublie-le, mon vieux.
Ces humains ne t’aiment
Que si tu les rends heureux !
Tu retiens une larme, une douleur,
Là… juste derrière tes yeux.
Retiens-la encore pour eux ;
Tu ne dois pas gâcher tes couleurs
Tu implores le ciel
De te faire rajeunir.
Vieillis ! Et cache sous ton rire
Ton indésirable fiel ?
Tu as trop souvent répété
Les mêmes vieux tours.
D’autres vont venir tomber
Pour faire rire… à leur tour !
Allons ! Il faut sourire.
Tu n’as pas le droit de penser,
Penser qu’un autre va finir
Ce que toi tu as commencé.
L’écuyère bleue
Couché sur les herbes d’un été chaud
Étendu dans la tiédeur de cette saison
Tu traverses ma vision, reine des cieux
Parcours ton champ de bataille ; amazone bleue.
Toi seule était vivante parmi les tiennes
Ta route te ramènera dans une ère prochaine
Te miroiter dans la même eau
Te faufiler par-dessus le même horizon
Tu éclairas pour une seconde mes yeux
Puis tu disparus derrière l’ombre de mes paupières
La nuit révéla vitement ta lumière
Tu étais venue, tu étais passée
Tu ne restes que dans ma mémoire ; inoubliée…
Étoile filante du soir, belle écuyère bleue…
J’inventerai
Et j’inventerai des yeux roses
Pour que tu ne vois plus la vie en gris
Ce sera plus joli,
Je suppose…
Et j’inventerai des montres sans aiguilles
Pour entendre filer le temps, sans le voir
Une fois, sur une île
Ce sera mon histoire
Et j’inventerai des mots muets
Pour te parler de ce que je ne sais pas
Écoute là-bas
Le silence se tait
Et j’inventerai un poème sans signification
Pour, que de moi, il t’apprenne tout…
Attention !
Je suis fou.
L’envers de l’endroit
La chenille a changé
Elle est devenue poisson
Pour survoler l’horizon
Le monde s’est métamorphosé
Les saisons se sont trompées
L’été vomit la neige d’hiver
Les mois de mai a reculé
Il est en janvier ; c’est son affaire !
La pluie a remonté vers le ciel
Il faisait trop froid ici-bas
Elle a couru vers le soleil
S’abriter sous ses bras
Mes cheveux se sont allongés
Le temps les a lavés
À la fontaine du silence
J’irai chanter une belle danse.
La folie m’a volé
Elle est devenue ma maîtresse
Elle m’a lié de ses tresses
Veux-tu me suicider ?
R. Sartho, 1975.