Ce qui me gruge
Par Georges Absinthe.
2024/06/18
Cette fatigue inopinée vous mortifiait plus que la mort, car la mort n’est jamais vécue et vous, vous aviez à vivre.
-Jacques Ferron, Les Salicaires
trop de choses à faire
tout le temps
repas
épicerie
ménage
vaisselle
travaux de fin de session
boîtes pour le déménagement
cocktails, pintes et hot-dogs à la job
ma vie traîne et se répète
comme un vieux bon de commande
par-dessus le marché
les choses importantes
écrire
me coucher plus tôt
m’impliquer davantage
retrouver mon élan
recommencer la peinture
terminer mes zines
retravailler mes poèmes
prendre du temps pour moi
mettre au monde mes projets
réaliser mes rêves
devenir libre
faire un pays
sauver le monde
tellement de choses
ne pas réussir à en achever
une seule
comme il faut jusqu’au bout
je cours partout
donne l’impression de savoir
où je vais
mais au fond
perdu comme à 17 ans
je tourne en rond
je suis né
sur la pointe
des escarpements
mon existence est
une pente abrupte
vers l’Oubli
l’impression de m’effriter
à mesure que j’avance
de laisser derrière
une partie de moi
des morceaux de mon corps
— je me prends pour la troisième loi de Newton —
je me traîne péniblement
d’un trottoir à l’autre
dans les rues de la basse-ville
je ne souris pas
les muscles de mon visage
sont trop lourds
trop nombreux
je ne saurais pas
par où commencer
mon humeur varie
autant que la température
je passe drastiquement
du soleil
du calme plat
à l’orage
au vent glacial
crispé
resserré en moi-même
je crois que mes atomes font de la fièvre
qu’à coups de frissons ils se collent
les uns aux autres
pour emmagasiner la chaleur
je cherche la lumière
les signes
ma voix
entre toutes les voix
mon cri
dans le chant du vacarme
je souris bêtement
pour masquer la fatigue
les yeux lourds
le corps essaie de suivre
survie rythmique
je danse entre les corps
dans la mobilité humaine
fraye mon chemin
sans trop m’effriter
je cherche la lumière
l’horizon des courses
le point de fuite
espère une ultime saillance
pour pénétrer le creux des décors
me glisser sous l’éclipse
sourire encore
bêtement
en surface
effleurant les mystères
l’impertinence me rattrape
à chaque insomnie
crise d’angoisse
recommencer ma vie
malgré moi
en panique
à bout portant
me faire des promesses
flottantes
utopiques
pour retrouver le sommeil
des promesses fragiles
éphémères
la nuit prend des airs
de gouffre
et j’y saute
à pieds joints
écroulé
fracassé
je suis
cent milles éclats de moi-même
sur le plancher de ma chambre
me ramasse au porte-poussière
fragment par fragment
essaie de me refaire
chaque jour
idem
je porte mon corps éclaté
au devant du monde
fendu au grand jour
fier dans ma blessure
j’essaie de ne pas trop m’en faire
de passer par-dessus ce qui me gruge
ce qui m’use avant l’heure
ton absence aujourd’hui
mes peurs absurdes
les relents d’anxiété sociale
le stress constant
l’impression de ne jamais faire assez
de ne pas être à la hauteur
la peur de décevoir
la jeunesse s’effeuille
les amitiés s’envolent
le sérieux me rattrape
le temps m’échappe
j’ai peur d’oublier
de ne plus être en mesure
de retenir ma vie
Georges Absinthe.