Le garçon et le geai bleu
Par A. Muguet
2024/07/30
- Je pars maman, dit le petit garçon.
- Mais ton sac semble maigre, as-tu pris toutes tes gaufres ?
- Oui maman, j’en ai pris trois.
- C’est bien peu, petit garçon, pour aller jusque chez ton oncle, s’exclama la mère.
- Une par jour me suffit, maman. Il me prendra un jour à franchir la forêt verte, un autre pour grimper la montagne rocheuse et un dernier pour traverser la plaine aux tertres, répondit-il.
- Et pour le retour ? s’inquiéta sa mère. Il serait bien d’en amener plus, mon petit garçon.
- Un sac léger me rendra plus rapide. Et, pour le retour, mon oncle me donnera trois nouvelles gaufres.
Bien entêté, le petit garçon enfila sa veste et commença à marcher. Il faisait doux et le soleil était jaune comme les narcisses. Il aperçut là-bas les premiers arbres de la forêt verte. Alors il s’y aventura, mais s’aperçut d’un grand ours brun qui de miel s’empiffrait. Il cessa ses pas, et décida d’attendre que la bête libère la voie. Mais c’était un ours gourmand, qui y resta jusqu’au soir. Quand finalement il quitta, il faisait noir et froid dans la forêt. Le petit garçon marcha toute la nuit pour en sortir. Le soleil orange se levait quand il aperçut enfin la montagne rocheuse. Mais, épuisé par sa mésaventure, il s’étendit sur les cailloux, avala une gaufre et s’endormit. Un geai bleu l’observait et gazouillait.
Il dormit toute la journée et toute la nuit, et ce fut un gargouillement qui le réveilla. Affamé, il mangea sa seconde gaufre et débuta l’ascension. Le temps était joli et le petit garçon reprit du moral. Mais vers le haut du massif il y avait de la brume et par celle-ci le sol était mouillé. Ainsi, au dernier pas de la montée, le petit garçon glissa et dévala toute la montagne. Il revint alors au pied de celle-ci, là où il avait dormi la veille. Il tâta ses poches pour prendre sa dernière gaufre, mais celle-ci n’y était plus. « Elle a dû tomber pendant ma chute… » pleura-t-il. Les larmes sur les joues, il s’endormit pour la nuit. Un geai bleu se posa près de lui et gazouilla.
Il faisait humide lorsqu’il se réveilla. Il entreprit immédiatement la montée, espérant retrouver sa gaufre perdue. Le petit garçon gravit la montagne sans toutefois en apercevoir une seule miette. « L’ours gourmand a dû passer pendant la nuit » se dit-il.
Au haut du sommet, il sentait ses pieds fatigués, mais il lui restait encore toute la plaine aux tertres à traverser et son ventre se plaignait fortement. Alors, dans la noirceur, il entreprit le reste de de la route vers chez son oncle.
La traversée de la plaine, bien que frisquette, se passa assez bien pour le petit garçon. Aux premières lueurs roses du soleil, il aperçut au loin la petite maison ronde de son oncle. Son ventre gémissait tant qu’il n’entendait que cela. Il parcouru les derniers mètres à la course, hâtif d’enfin pouvoir manger quelque chose. Devant la porte en chêne, il cogna trois coups rapides. « Mon oncle, mon oncle ! » cria-t-il joyeusement. Mais il n’entendit aucun pas dans la maison. Il cogna encore, mais toujours sans signe de son oncle. Il tenta de tourner la poignée, mais la serrure était verrouillée. Il commença à babiller des plaintes, maudissant sa malchance. Il ne restait plus aucune autre solution : il devait retourner chez lui rapidement, en espérant trouver quelques airelles sur la route.
Il marchait lentement, et ses larmes l’empêchaient de voir autour de lui. Il entendit toutefois un geai bleu gazouiller de plus en plus fort, comme s’il fonçait droit sur lui. Le petit garçon se frotta les yeux pour voir l’oiseau. Celui-ci semblait transporter quelque chose dans son bec.
- Petit oiseau, que transporte-tu ? demanda-t-il.
Le geai bleu ouvrit son bec et fit ainsi tomber ce qu’il transportait directement dans la main du petit garçon : c’était sa gaufre perdue !
- Geai bleu ! Tu l’as trouvée et tu me l’as rapportée ! Tu me sauves la vie !
Le geai bleu se posa sur la branche d’un élégant buisson, et répondit :
- Petit garçon, tu n’as pas été prudent.
- Mais, je n’ai eu que malchances durant mon trajet !
- Tu aurais dû prévoir ces malchances, petit garçon. Ta faim te servira de leçon : rien ne tient ses promesses dans ce monde. Ne crois pas que la plaine aux tertres se traversera toujours aussi facilement que la dernière fois, et que l’ours gourmand ne remarquera pas un jour ta présence ! Tu croiseras des geais bleus gentils, mais aussi des méchants ! Petit garçon deviendra grand lorsqu’il comprendra que c’est lui qui doit s’adapter à ce monde sauvage, et c’est une fois cela accompli que la vie devient magnifique : si tu avais eu quelques gaufres de plus en poche, tu aurais pu profiter du bruit de l’eau dans la forêt verte, de la vue que donne la montagne rocheuse, et aussi des étoiles observables de la plaine aux tertres.
Le geai bleu s’envola en gazouillant, laissant le petit garçon seul. Celui-ci regarda sa gaufre, la sépara en petites parties, en mangea une, et entama sa route.
A. Muguet