Les anges
Par Flavie Bélanger.
2024/07/16
Les anges sont les êtres les plus horribles qui soient.
Ceux que j’appelle les anges de l’esprit, je les hais. D’abord, leurs visages doux et pleins, aux joues de cerises et au regard sérieux. Ces cils qui se recourbent et battent comme s’ils n’avaient rien d’autre à faire. Le regard teinté de tendresse pour le monde alors qu’ils le jalousent, j’en ai la certitude. Les anges de l’esprit se baladent les jours de soleil aussi bien que les jours de pluie, à écouter le chant du ciel et à lever la tête vers les oiseaux. Telle est la vie pour eux : voir, écouter, sentir, penser. Ils croiraient que tout n’est qu’un ordre naturel, débordant de sensualité et de bienveillance. La sublimation des rugissements de leurs tripes s’opère dans la grâce et la paix. C’est dans les effluves de rose ou de lys qu’ils marchent cheveux au vent, ces serpents sortis de leurs têtes qui se tordent à la moindre brise, qui veulent t’étrangler, t’arracher le cœur du fond de la poitrine. Ce parfum, c’est une essence écœurante, de ces senteurs si fortes qu’elles en deviennent nauséabondes. Ainsi sont les anges de l’esprit : ils avancent dans une honorable et médiocre, bonasse et aveugle pureté, tant et si bien qu’ils s’en trouvent nauséabonds. Leur tête est toute boursouflée de romantisme et de lumières. Il faut les voir se consterner devant la souffrance la plus futile, se déchirer de pitié aussi aisément qu’un pétale. Ensuite, ils se délectent de la moindre connaissance qui leur parvient, aussi inutile et métaphysique qu’elle soit. Ils se préoccupent autant de leur corps que de leur robinet ou de leur machine à laver et rejettent d’un sourire débonnaire ceux qui savent s’occuper du tangible, du pratique, de la vraie vie. Cette vraie vie, c’est dans le corps qu’elle se trouve, c’est dans la faim, la soif, la misère, la saleté qui s’incruste dans les pores et sous les paupières. Non dans ce qu’ils prétendent avec dignité être la « quête de la vérité ». Non dans leurs jolies idées toutes enveloppées de velours et leurs mots enguirlandés d’or.
Peut-être les anges ont-ils leurs démons, eux aussi. Mais j’ai parfois peine à les voir.
Les anges de l’esprit, je les hais comme on hait une partie de soi-même impossible à refouler, qui éveille en nous les instincts les plus doux, les émerveillements les plus naïfs. Comme un cœur qui nous fait vivre et qui jamais ne fait défaut, même lorsqu’on souhaiterait qu’il nous lâche. Je les hais avec toute mon affection.
Flavie Bélanger.