octobre. les chênes centenaires ont mué et la cour avant de chez mamie est couverte de feuilles fanées. ma mémoire est tachée de ces éclaboussures de couleurs sur ce gazon délaissé depuis la fin de l’été. ces éclaboussures que je savais jaunes-oranges-rouges, mais que mon regard de jeune daltonienne n’arrivait pas à différencier. peu importe. je me jetais sans hésitation dans cette mare invisible de jaune-orange-rouge. fermais les paupières. respirais l’haleine humide de la terre.

je me souviens du corps frêle de mon frère. de sa présence trahie alors qu’il se croyait si bien caché sous la rouille mouillée des chênes. le bout de sa mitaine usée. la touffe du pompon de sa tuque qu’il aimait tant mettre dans sa bouche au grand désespoir de maman. le talon de son duck shoe couvert de boue et d’herbe. son manteau trop grand qui m’appartenait auparavant. mes parents m’avaient répété souvent de prendre soin de ce manteau pour qu’il soit encore beau lorsque ce serait au tour de mon petit frère de le porter. ses pieds minuscules battant l’air d’impatience et secouant sa cachette fragile.

papa et moi étions les prédateurs. à la recherche de la peau douce du cou. nous nous glissions vers ce tas de frère et de feuilles accompagnés des crépitements de l’automne qui s’écrasait sous nos genoux. il sentait notre approche. rigolait de plus en plus fort. aiguë. des éclats d’excitation. l’ivresse d’être révélé. la fébrilité de ne pas savoir à quel moment. l’inquiétude à l’idée de faire un saut. le bonheur de savoir que la découverte est inévitable.

puis, on s’élançait. toutes mains brandies. chant d’attaque. dents prêtes à croquer. cri de terreur. la voix de maman au loin. les enfants, faites attention ! yeux qui reflètent la lumière du soleil froid. les mitaines mouillées en défense sur mes joues fouettées. saute pas sur ton frère ! les fossettes creusées par les chatouilles. bout du nez rougi par l’automne de cuivre. le ventre qui veut éclore en rires.

et sa petite voix claire : « encore ! »

Léana Dupuis