Nouvelles à chier
Par Boris Okoff.
2025/02/05
Maniaquerie
Pas une poussière ne subsistait. Aucune saleté résistante. Tout était nickel, limpide. L’appartement brillait de mille feux. Dès qu’un objet trainait, il était aussitôt rangé. S’il ne mangeait pas dans la minute un yaourt sorti du frigidaire, il était sûr, l’instant d’après, de le retrouver remis à sa place. Parfois, une éponge magique s’élevait dans l’air et nettoyait la table du salon alors qu’il en était encore au fromage. À la mort de son mari, personne ne s’étonna donc qu’elle sorte un chiffon pour effacer une tache sur le couvercle du cercueil. Juste avant qu’il pénètre dans le four crématoire.
Get Up !
Ce matin, comme j’étais très enjoué, ma concierge m’a lancé : » Vous êtes drôle ! Vous devriez faire du stand-up ! ». Je lui ai répondu que j’en avais déjà fait et que c’était comme cela que j’étais devenu caissier, ma mère étant la seule personne qui venait assister à mes spectacles. J’ai ajouté que ça me débectait tellement à la fin de la voir à chaque représentation qu’en accord avec mon producteur ruiné, j’arrêterai de me produire sur scène, me tournant vers un art oratoire assis et moins risqué. Sans rien perdre, il me semble, de mon éloquence !
Le dur désir de durer
Il passait ses jours et ses nuits à écrire. Ne rêvant que d’une chose : être publié. Sortir des livres était devenu une obsession. Une question de vie ou de mort. Hé quoi ! Écrire pour le plaisir ? Plutôt mourir ! Seul le désir d’être lu et reconnu par le plus grand nombre l’animait. On ne connaît pas la date ni la raison exacte de son décès. Certains avancent une maladie, d’autres la dépression liée à l’énième refus d’une maison d’édition ayant précipité sa fin brutale. Force est de constater qu’il ne connut pas plus de succès littéraire post-mortem.
Paysage
Je t’ai cherchée dans la brume, dans les prés, au fond des granges, chez des voisins, parmi les villages autour, tu n’étais pas là. Je t’ai cherchée sur l’eau à l’horizon, au fond des vallons encaissés, sur les sentiers côtiers, derrière des fougères, parmi la bruyère, au milieu des pins, dans les champs, entre les meules de foin, tu n’étais pas là. Je t’ai cherchée dans des criques, à travers la poussière sur les chemins, les plages, dans des fermes, tu n’étais pas là. Alors j’ai levé les yeux au ciel et je me suis souvenu où tu étais partie.
Partie de pêche
La seule chose dont je me souviens avec mon père, c’est d’une partie de pêche. Je me demande si je m’en souviens parce que c’est la seule chose qu’on ait faite ensemble ou parce que ce jour-là, on n’avait rien pêché. Pas une touche en trois heures. Au bout d’une attente absurde et interminable au cours de laquelle on était restés silencieux, canne à pêche à la main, mon père s’est levé, impassible et a fait : « On rentre ». Longtemps j’ai rêvé qu’on riait aux éclats avec le patriarche. Hilares après avoir sorti une énorme carpe de l’eau…
Un gars simple
Ma femme m’a sorti que j’étais un gars simple. Hé quoi ! ai-je répondu. C’est bien de ne pas se prendre la tête ? Tu ne comprends pas ? Simplet si tu préfères ! J’ai une intelligence moyenne. Ça me convient. Au moins j’en connais les frontières. Je sais que, de toute façon, j’aurai donné le meilleur de moi-même. Sans nourrir de regrets, du fait même de mes capacités naturellement limitées. Si j’avais le QI d’un HPI, je serais bloqué par l’infinité des possibles, les pouvoirs vertigineux de mon cerveau. Peut-être est-ce mieux ainsi que de rester simple ?…
Le citronnier
L’épine pénétra sous l’ongle puis traversa directement les 1.5 cm de chair qui séparaient l’hyponychium de la lunule, lui arrachant immédiatement un cri de douleur. Depuis le temps qu’on lui disait de jardiner avec des gants ! Il était trop tard. Peu à peu, il se transformait en citronnier. Ses bras étaient déjà devenus des branches chargées d’agrumes, son corps un tronc d’arbre solide. Quant à sa tête, elle avait disparu dans les feuillages épais, métamorphosée en citron géant. Alors pour la première fois, il ressentit dans la bouche le goût acide du départ de sa mère qui était morte.
Angoisse
Je maigris. À vue d’œil. Aucune explication rationnelle à cela. Je mange bien, me porte à merveille. Je fais du sport. Ne commets aucun excès. Je suis sociable. Rencontre sans cesse du nouveau monde. Mais mon corps continue de mincir. Irrémédiablement. Ma femme dit qu’elle ne s’est aperçue de rien. Mes amis non plus n’ont rien constaté d’anormal. Aucun changement notable dans ma morphologie. Pourtant, je le vois bien, quelque chose cloche. J’ai peur qu’on ne fasse plus attention à moi. Un jour bien sûr, comme tout le monde je disparaîtrai. Mais pas comme ça. Pas en devenant invisible !
Bors Okoff