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La fatigue des futurs
Ce n’est pas le futur qui me fait peur.
C’est notre incapacité à l’imaginer autrement qu’en ruine,
recouvert de poussière grise, comme une ville oubliée,
avalée par la lumière morte.
On a désappris la nuance,
la lenteur,
le fil qui tient tout.
Nos gestes sont hachés, nos désirs collés en vitrine,
nos poumons frôlent l’incendie à chaque respiration.
Chaque fois qu’on dit : C’est comme ça maintenant.
Une partie de nous s’efface,
comme une peinture qu’on lave à grande eau.
Il reste un éclat qui ne veut pas s’éteindre.
Une chaleur sous la glace.
Une envie d’écrire qui fend les slogans,
une envie de creuser des fenêtres dans les murs de béton,
comme on plante des graines dans le sol craqué.
La poésie est un acte politique.
L’imaginaire, une brèche dans la cuirasse.
Le doute, une hygiène pour l’âme.
J’écris pour ne pas me fossiliser en silence.
J’écris pour ne pas avaler la résignation qu’on nous sert tiède, avec des couverts en plastique recyclable.
Et si mes phrases trébuchent,
c’est qu’elles marchent à travers des paysages en ruine.
Mais elles marchent,
comme un feu sous la mousse,
prêt à reprendre.
Nous ne sauverons pas la planète
Nous ne sauverons pas la planète.
Elle tournera sans nous,
comme elle l’a toujours fait,
jetant ses saisons comme des dés dans l’infini,
indifférente aux cris qui montent de ses plaies.
Elle n’a jamais eu besoin de nos slogans,
de nos promesses pliées dans des poches de veston,
ni même de nos rêves de rédemption.
Mais nous apprendrons à marcher autrement,
à poser le pied comme une question,
et non comme une botte.
À nommer les choses sans les prendre.
À regarder un arbre sans y voir du bois.
À écouter la pluie tomber sur le toit
comme une langue ancienne qu’on aurait trahie.
Nous sommes faits de fatigue,
d’oublis en série,
mais aussi de braises lentes
qu’aucune averse ne sait tout à fait éteindre.
Nous avons tout pour échouer,
sauf le courage d’essayer autrement.
Ce n’est pas un manifeste.
C’est une lampe allumée dans le noir,
même si l’ampoule vacille,
même si le noir prend toute la pièce.
Nous ne sauverons pas la planète.
Mais peut-être — peut-être —
peut-on sauver le regard,
l’élan,
l’écho.
Celui qui se tourne vers elle,
comme on tend la main à une mère qu’on a fait pleurer.
Caroline Dionne